10 octobre 2013

Beni – Lubero : Entre terreur des groupes armés, détresse des déplacés et justice populaire


L’association EADEV (Enfant pour l’Avenir et le Développement) s’alarme de la dégradation de la situation sécuritaire en territoires de Beni et Lubero dans la province du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo. Les mois d’août et septembre ont été particulièrement marqués par la recrudescence des activités des groupes armés, le plus dangereux d’entre eux étant l’ADF/NALU, une rébellion ougandaise qui serait noyautée par les islamistes somaliens d’Al Shebab
Images islamiste El-shebab


Les atteintes contre la population ne sont pas toutefois l’apanage des seuls membres de l’ADF/NALU puisque des miliciens maï-maï, notamment ceux dirigés par un certain Morgan (secteur de Manguredjipa), et même certains éléments des FARDC, figurent parmi les différents responsables d’atteintes sur la population civile. Il est enfin arrivé que les violences soient le fait de la population elle-même dans des moments d’exaspérations débouchant sur des dramatiques actes de « justice populaire ». Tout ceci interpelle les autorités et les responsables de la Mission des nations-Unies au Congo qui, bien entendu, sont restés dévoués à leurs missions en matière de sécurité, mais à qui se posent de nouveaux défis. L’association EADEV attire l’attention sur l’urgence qu’il y a à augmenter la capacité des moyens actuels de l’Etat et de la Monusco pour éviter qu’une situation qui se dégrade rapidement ne dégénère au point d’échapper à tout contrôle.
Activités des groupes armés
Les groupes armés continuent de répandre la terreur dans les territoires de Beni et Lubero. Ainsi le 24 août dernier, dans le groupement des Watalinga, sept hommes qui cultivaient leurs champs ont été enlevés à Musu et cinq autres près de la localité de Kamango. Une semaine plus tard, dans la localité de Matiba, près d’Oicha, M. Kasereka Kinyonge (25 ans) a été kidnappé alors qu’il se rendait à son champ pour extraire de l’huile de palme. Trois semaines plus tard, le 23 septembre à 20h30, trente-trois personnes dont onze enfants (sept filles et quatre garçons) ont été enlevées dans la localité de Kombo en groupement des Watalinga. Trois hommes avaient été abattus au cours de l’opération menée par les membres de l’ADF/NALU.
Si cette rébellion ougandaise est régulièrement citée dans les cas d’enlèvement, elle n’est pas le seul groupe armé à recourir à cette pratique.
Ainsi dans la nuit du 28 au 29 septembre dernier, MM. Kambale Richard et Tsongo Justin, infirmiers au Centre de Santé de Maleki/Oicha, ont été kidnappés par un groupe d’hommes armés en tenue militaire identifiés comme étant des miliciens mai-mai. Les victimes ont été embarquées à bord d’une voiture. Tsongo Justin a réussi à s’échapper le 1er octobre, mais son compagnon d’infortune n’a, depuis, plus jamais donné signe de vie.
Ces pratiques traumatisantes pour les victimes et déchirantes pour leurs familles sont récentes. En territoires de Beni et Lubero, les enlèvements sont une pratique ne datant que de quelques années mais causent déjà d’énormes dégâts non seulement psychologiques (hantise au quotidien) mais aussi humains. Selon l’ONG BON SAMARITAIN, le nombre des personnes kidnappées depuis 2010 serait de 569. Ces enlèvements se produisent essentiellement entre les localités de Mbau et de Kamango.
En dehors des cas d’enlèvement, la population en territoires de Beni et Lubero a été la cible d’autres formes d’atteintes.
Ainsi le 12 août, en territoire de Lubero, des miliciens mai-mai  se sont livrés à des pillages de boutiques.
EADEV déplore par ailleurs que ces miliciens continuent de recruter des enfants dans leurs rangs. C’est le cas à Kanzanza où on a signalé la présence de 250 enfants dans les rangs du groupe mai-mai MDPC, tandis que les recrutements se poursuivent dans un autre groupe basé dans les parages de la localité de Kyavirimu, où sévit un autre « colonel » mai-mai connu sous le sobriquet d’Oscar.
Quelques heureux dénouements
Il est aussi arrivé des dénouements heureux comme dans le cas de Mademoiselle Salima Kyakimwa, élève en 2ème année secondaire à l’Institut Kisiki de Mbau. Son enlèvement le 03 octobre avait provoqué une vive réaction de ses camarades qui avaient manifesté dans la cité et bloqué la route menant au Nord, vers Kisangani, et aussi vers Kamango, secteur où sévissent les preneurs d’otage. La jeune fille sera relâchée le lendemain.
C’est aussi le cas de M. Kambale Makasi Meshack, taximan, kidnappé au début du mois de Juillet par des hommes non autrement identifiés. Il a réussi à échapper à ses ravisseurs. Arrivé à Beni le 03 août, Il a rapporté que ces derniers l’avaient retenu dans une carrière minière en Ituri.
Parmi les dénouements heureux, on peut également signaler la reddition le 1er octobre, auprès des FARDC, de cinquante combattants mai-mai du groupe FOLC (Front Œcuménique pour la Libération du Congo). Les repentis, actuellement cantonnés  sur le site de Mambango, ont indiqué qu’un grand nombre d’enfants soldats étaient prêts à se retirer des maquis et à se rendre.
Le désastre humanitaire

Les activités des groupes armés ont un impact considérable sur la population. EADEV déplore l’afflux des déplacés internes, et même des réfugiés.
Les déplacés de Kamango


En effet, dans le secteur de Kamango, sur une population de 99.302 habitants, 66.746 se sont réfugiés en OUGANDA, selon l’organisation Save the Children international Ouganda. Selon les autorités locales, 13.918 ont trouvé refuge dans les villages environnants et même des localités beaucoup plus éloignées. Dans les localités de Nobili, Mutwanga, Mwenda, Oicha et  Bulongo, les déplacés se retrouvent dans des familles d’accueil surpeuplés. D’autres occupent les écoles qui se dégradent au fil des jours, ce qui constitue un désastre supplémentaire, la scolarisation des enfants ne pouvant être assurée.

TABLEAU SYNHETIQUE DES MOUVEMENTS DES POPULATIONS 
Nouvelle localisation
Nbre ménages
Nbre hommes
Nbre  femmes
Nbre  enfants
Total par site
BWISEKA
6O8
1161
553
1934
4256
KIKURA
4139
5978
3290
14966
28973
BUGANDO
375
716
315
1219
2625
LWANOLI
2389
4389
2211
7765
16723
NOBILI
5867
10694
5440
19068
41069
TOTAL GENERAL
93646
(Source : Comité des déplacés de NOBILI.)
EADEV s’alarme également du péril alimentaire qui guette la population de Beni et Lubero du fait des activités des groupes armés. Les enlèvements interviennent dans des zones rurales. Les victimes sont essentiellement des paysans qui se rendent à leurs champs ou en reviennent. La conséquence inévitable est la chute de la production agricole locale, la hausse des prix des denrées alimentaires ou, carrément l’épuisement des stocks.
Une population à fleur de peau
Dans ce climat où se mêlent angoisse et exaspération, les réactions de la population deviennent parfois extrêmes. Le phénomène de « justice populaire » prospère. La population n’hésite plus à se « charger » elle-même des personnes soupçonnées de crime.
C’est ainsi que le 28 septembre, dans la localité de Masambo, un voleur dénommé Katembo a été passé à tabac par une foule en colère. L’infortuné a succombé le lendemain des suites de ses blessures. Cinq jours plus tard, le 04 octobre à Butembo, un homme soupçonné de vol, a été lapidé à mort par une foule en colère.
Plus inquiétant, ces déchainements de violence ont été parfois consécutifs à des soupçons portant sur des sujets aussi incertains que la sorcellerie, comme cela a été signalé dans le quartier Ngongolio, commune de Mulakera en ville de Beni.
EADEV en action
Au milieu de cet environnement agité, l’association EADEV poursuit ses activités axées sur la prise en charge transitoire des populations en détresse, la réinsertion socio-économique et l’éducation.
EADEV entreprend par ailleurs de s’adapter à l’évolution de la situation.
Ainsi le 23 août dernier, une mission d’EADEV, est arrivée à Nobili dans le cadre des activités liées à la protection des enfants. De concert avec les autorités et les leaders communautaires, EADEV compte, dans un premier temps,  installer un centre d’écoute dans cette localité particulièrement touchée par l’afflux des déplacés fuyant les exactions des ADF/NALU. Mais le niveau de la dégradation de la situation nécessite une mobilisation de plus grande ampleur aussi bien pour neutraliser les groupes armés que pour porter assistance aux déplacés.
Augustin VWALUMA
Président de l’Association EADEV