L’association EADEV (Enfant pour l’Avenir et le
Développement) s’alarme de la dégradation de la situation sécuritaire en
territoires de Beni et Lubero dans la province du Nord-Kivu en République
Démocratique du Congo. Les mois d’août et septembre ont été particulièrement
marqués par la recrudescence des activités des groupes armés, le plus dangereux
d’entre eux étant l’ADF/NALU, une rébellion ougandaise qui serait noyautée par
les islamistes somaliens d’Al Shebab.
Images islamiste El-shebab |
Les atteintes contre la population ne sont pas toutefois l’apanage des
seuls membres de l’ADF/NALU puisque des miliciens maï-maï, notamment ceux
dirigés par un certain Morgan (secteur de
Manguredjipa), et même certains éléments des FARDC, figurent parmi les
différents responsables d’atteintes sur la population civile. Il est enfin
arrivé que les violences soient le fait de la population elle-même dans des
moments d’exaspérations débouchant sur des dramatiques actes de « justice populaire ». Tout
ceci interpelle les autorités et les responsables de la Mission des
nations-Unies au Congo qui, bien entendu, sont restés dévoués à leurs missions
en matière de sécurité, mais à qui se posent de nouveaux défis. L’association
EADEV attire l’attention sur l’urgence qu’il y a à augmenter la capacité des
moyens actuels de l’Etat et de la Monusco pour éviter qu’une situation qui se
dégrade rapidement ne dégénère au point d’échapper à tout contrôle.
Activités des groupes armés
Les groupes armés continuent de
répandre la terreur dans les territoires de Beni et Lubero. Ainsi le 24 août
dernier, dans le groupement des Watalinga, sept hommes qui cultivaient leurs
champs ont été enlevés à Musu et cinq autres près de la localité de Kamango.
Une semaine plus tard, dans la localité de Matiba, près d’Oicha, M. Kasereka
Kinyonge (25 ans) a été kidnappé alors
qu’il se rendait à son champ pour extraire de l’huile de palme. Trois semaines
plus tard, le 23 septembre à 20h30, trente-trois personnes dont onze enfants (sept filles et quatre garçons) ont été
enlevées dans la localité de Kombo en groupement des Watalinga. Trois hommes
avaient été abattus au cours de l’opération menée par les membres de
l’ADF/NALU.
Si cette rébellion ougandaise est
régulièrement citée dans les cas d’enlèvement, elle n’est pas le seul groupe
armé à recourir à cette pratique.
Ainsi dans la nuit du 28 au 29
septembre dernier, MM. Kambale Richard et Tsongo Justin, infirmiers au Centre
de Santé de Maleki/Oicha, ont été kidnappés par un groupe d’hommes armés en
tenue militaire identifiés comme étant des miliciens mai-mai. Les victimes ont
été embarquées à bord d’une voiture. Tsongo Justin a réussi à s’échapper le 1er
octobre, mais son compagnon d’infortune n’a, depuis, plus jamais donné signe de
vie.
Ces pratiques traumatisantes pour
les victimes et déchirantes pour leurs familles sont récentes. En territoires
de Beni et Lubero, les enlèvements sont une pratique ne datant que de quelques
années mais causent déjà d’énormes dégâts non seulement psychologiques (hantise au quotidien) mais aussi
humains. Selon l’ONG BON SAMARITAIN, le nombre des
personnes kidnappées depuis 2010 serait de 569. Ces enlèvements se produisent
essentiellement entre les localités de Mbau et de Kamango.
En dehors des cas d’enlèvement, la
population en territoires de Beni et Lubero a été la cible d’autres formes
d’atteintes.
Ainsi le 12 août, en territoire de
Lubero, des miliciens mai-mai se sont
livrés à des pillages de boutiques.
EADEV déplore par ailleurs que ces
miliciens continuent de recruter des enfants dans leurs rangs. C’est le cas à Kanzanza
où on a signalé la présence de 250 enfants dans les rangs du groupe mai-mai
MDPC, tandis que les recrutements se poursuivent dans un autre groupe basé dans
les parages de la localité de Kyavirimu, où sévit un autre « colonel » mai-mai connu sous le sobriquet d’Oscar.
Quelques heureux dénouements
Il est aussi arrivé des dénouements
heureux comme dans le cas de Mademoiselle Salima Kyakimwa, élève en 2ème
année secondaire à l’Institut Kisiki de Mbau. Son enlèvement le 03 octobre avait
provoqué une vive réaction de ses camarades qui avaient manifesté dans la cité
et bloqué la route menant au Nord, vers Kisangani, et aussi vers Kamango,
secteur où sévissent les preneurs d’otage. La jeune fille sera relâchée le
lendemain.
C’est aussi le cas de M. Kambale
Makasi Meshack, taximan, kidnappé au début du mois de Juillet par des hommes
non autrement identifiés. Il a réussi à échapper à ses ravisseurs. Arrivé à
Beni le 03 août, Il a rapporté que ces derniers l’avaient retenu dans une
carrière minière en Ituri.
Parmi les dénouements heureux, on
peut également signaler la reddition le 1er octobre, auprès des
FARDC, de cinquante combattants mai-mai du groupe FOLC (Front Œcuménique pour la Libération du Congo). Les repentis, actuellement
cantonnés sur le site de Mambango, ont
indiqué qu’un grand nombre d’enfants soldats étaient prêts à se retirer des
maquis et à se rendre.
Le désastre humanitaire
Les activités des groupes armés ont
un impact considérable sur la population. EADEV déplore l’afflux des déplacés
internes, et même des réfugiés.
Les déplacés de Kamango |
En effet, dans le secteur de
Kamango, sur une population de 99.302 habitants, 66.746 se sont réfugiés en
OUGANDA, selon l’organisation Save the Children
international Ouganda. Selon les autorités locales, 13.918 ont trouvé
refuge dans les villages environnants et même des localités beaucoup plus
éloignées. Dans les localités de Nobili, Mutwanga, Mwenda, Oicha et Bulongo, les déplacés se retrouvent dans des
familles d’accueil surpeuplés. D’autres occupent les écoles qui se dégradent au
fil des jours, ce qui constitue un désastre supplémentaire, la scolarisation
des enfants ne pouvant être assurée.
TABLEAU
SYNHETIQUE DES MOUVEMENTS DES POPULATIONS
Nouvelle localisation
|
Nbre ménages
|
Nbre hommes
|
Nbre
femmes
|
Nbre
enfants
|
Total par site
|
BWISEKA
|
6O8
|
1161
|
553
|
1934
|
4256
|
KIKURA
|
4139
|
5978
|
3290
|
14966
|
28973
|
BUGANDO
|
375
|
716
|
315
|
1219
|
2625
|
LWANOLI
|
2389
|
4389
|
2211
|
7765
|
16723
|
NOBILI
|
5867
|
10694
|
5440
|
19068
|
41069
|
TOTAL
GENERAL
|
93646
|
(Source :
Comité des déplacés de NOBILI.)
EADEV s’alarme également du péril
alimentaire qui guette la population de Beni et Lubero du fait des activités
des groupes armés. Les enlèvements interviennent dans des zones rurales. Les
victimes sont essentiellement des paysans qui se rendent à leurs champs ou en
reviennent. La conséquence inévitable est la chute de la production agricole
locale, la hausse des prix des denrées alimentaires ou, carrément l’épuisement
des stocks.
Une population à fleur de peau
Dans ce climat où se mêlent
angoisse et exaspération, les réactions de la population deviennent parfois
extrêmes. Le phénomène de « justice
populaire » prospère. La population n’hésite plus à se « charger » elle-même des
personnes soupçonnées de crime.
C’est ainsi que le 28 septembre,
dans la localité de Masambo, un voleur dénommé Katembo a été passé à tabac par
une foule en colère. L’infortuné a succombé le lendemain des suites de ses
blessures. Cinq jours plus tard, le 04 octobre à Butembo, un homme soupçonné de
vol, a été lapidé à mort par une foule en colère.
Plus inquiétant, ces déchainements
de violence ont été parfois consécutifs à des soupçons portant sur des sujets
aussi incertains que la sorcellerie, comme cela a été signalé dans le quartier
Ngongolio, commune de Mulakera en ville de Beni.
EADEV en action
Au milieu de cet environnement
agité, l’association EADEV poursuit ses activités axées sur la prise en charge
transitoire des populations en détresse, la réinsertion socio-économique et l’éducation.
EADEV entreprend par ailleurs de
s’adapter à l’évolution de la situation.
Ainsi le 23 août dernier, une
mission d’EADEV, est arrivée à Nobili dans le cadre des activités liées à la
protection des enfants. De concert avec les autorités et les leaders
communautaires, EADEV compte, dans un premier temps, installer un centre d’écoute dans cette
localité particulièrement touchée par l’afflux des déplacés fuyant les
exactions des ADF/NALU. Mais le niveau de la dégradation de la situation
nécessite une mobilisation de plus grande ampleur aussi bien pour neutraliser
les groupes armés que pour porter assistance aux déplacés.
Augustin VWALUMA
Président de l’Association EADEV